La scène était surréaliste. Aussi incroyable que la chose puisse paraître, mon bateau, de sa propre initiative, s’éloignait de la rive et l’image fugace de Bayard au gouvernail m’a traversé l’esprit mais je n‘ai guère eu le temps d’en sourire. Edgard m’a désigné les deux gamins hilares qui, accoudés au parapet du pont, regardaient l’Eugénie dériver lentement dans leur direction.
– File au bateau, je m’occupe d’eux ! m’a soufflé Edgard.
J’ai bondi sur le quai, plongé dans l’eau froide et constaté au passage que l’Eugénie était retenue par son câble électrique et la grâce du Ciel. Je me suis hissé à bord avec une pensée émue pour notre implacable prof de gym et les pompages en série qu’il nous infligeait. Pendant ce temps – j’ai manqué la scène mais Edgard me l’a racontée en détail – le barragiste se glissait à pas de loup sur le pont derrière les deux morveux, leur sautait dessus sans ménagement en criant « police ! » et les ramenait sur le quai. Ces grands aventuriers avaient trouvé poilant de détacher les amarres et d’aller observer du pont le résultat de leur acte de bravoure.
Bayard, que l’inquiétude avait réveillé, m’adressait des couinements alarmés. J’ai fait signe à Edgard de débrancher le câble électrique et j’ai allumé le moteur puis manœuvré avec prudence pour rejoindre le quai. Nous avons obligé les deux saboteurs à tirer les amarres de l’eau et à les replacer, chialant, gémissant, dans leur état initial. La manœuvre a duré un certain temps puis on a discuté. Ils parlaient anglais, la conversation n’était possible qu’avec Edgard, qui traduisait chaque phrase à mon intention. Je me sentais honteux et confus, comme le corbeau de La Fontaine, et je me suis juré mais un peu tard qu’on ne m’y prendrait plus à mépriser l’apprentissage des langues étrangères, je maniais à la perfection le wallon namurois, le liégeois et je me débrouillais dans tous les autres, pourquoi donc, gros fainéant, n’as-tu pas au moins appris l’anglais ?
(…….)
Mireille Maquoi http://mireille-maquoi.be/
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